Sainte Hypatie
Chronique
Alors que d’aucuns béatifient, panthéonisent, vaticanisent à tour de bras et d’eau bénite, surtout en cette époque d’obscurantisme islamique et d’antiféminisme à la tribune outre-atlantique, bref, à temps et à contretemps je propose de placer sur nos autels intimes une païenne extraordinaire dont je viens de revisiter sur un écran l'existence et l'incandescence : Hypatie d'Alexandrie. J'en suis encore tout ébloui et déjà converti.
D'abord une évidence : lorsque cohabitent chez votre serviteur trois passions – le péplum, le goût des sciences, l'ardeur métaphysique – quel film peut-il plébisciter les yeux fermés sinon la dernière réalisation du prodige Alejandro Aménabar, revue tard ce soir sur DVD ? “Agora”bien sûr ! Enfin une antiquité qui pense ! Enfin une héroïne ne rimant pas avec Messaline ! Enfin une bienheureuse qui n’est pas soumise et catholique, mais rebelle et laïque ! Enfin des chrétiens qui ne sont plus de tendres agneaux déchiquetés par les lions mais bel et bien à leur tour des tigres assoiffés de revanche ! Enfin un (futur saint) Cyrille d'Alexandrie qui n'a pas une tête d'anachorète rêveur mais le masque odieux d'un ayatollah basané appelant à liquider les Juifs déicides et à lapider les jeunes chercheuses émancipées.
On me dira que le scénariste a poussé un peu loin le goupillon, qu'importe ! Je me suis d'ailleurs bien gardé avant la séance de cinéma d'éplucher les critiques (je connais par avance tous leurs poncifs dégoûtés : manichéisme, anachronismes, boursouflures, musique tonitruante etc.). Peu m'en chaut, je ne sais qu'une chose : je suis tombé raide amoureux de la belle et brillantissime astronome Hypatie (et, je l'avoue, un peu, beaucoup, passionnément... – je n'y peux rien, la Nature commande – de son jeune esclave Davus à l'œil charbonneux et à la lèvre boudeuse. Dommage, au IVe siècle, l'on ne portait plus la jupette mais déjà des braies bien trop décentes et déjà décadentes).
Retour au scénario d'une modernité confondante. Dans cette histoire haute en couleurs et bariolée de sang, sont au rendez-vous tous les thèmes contemporains qui me passionnent et me tourmentent : les religions, leurs surenchères, leurs massacres au nom d'un Dieu concurrent ; la fin d'une civilisation et le basculement du monde ancien ; la raison d'Etat qui dicte les trahisons et les conversions de façade ; enfin la figure de proue d'un féminisme à la fois lumineux et ombrageux (quelle femme oserait aujourd'hui offrir à son amant transi, en guise de panty de soie, le linge imbibé de son sang menstruel pour affirmer à quel point elle entend rester libre vis-à-vis de tous les mâles en rut !). L'asexualité chez une femme de l'Antiquité mais aussi sa rigueur scientifique, sa confession d'athéisme, l'amour de la liberté mais sans rien céder au charme ni à la beauté, est-ce anachronique ? Du cinoche ? Sans doute mais on s'en fout. Raquel Weisz illumine. C'est elle la plus belle, la plus sage, la plus forte. Et plus elle s'entête dans son combat, plus elle approche de sa vérité scientifique (non plus le cercle sacré mais la révolutionnaire ellipse), plus je l'ai soutenue contre son amant sans couilles et les cruels talibans chrétiens qui pour finir n’en feront qu’une bouchée : Hypatie, savante martyre, périra démembrée devant la croix qu’elle a refusé d’embrasser. Subito santa ! Subito santa ! Ça nous changerait tellement des pontifes égrotants et des curés prédateurs !
Après une telle vision, je me sens agité. Tout se mélange dans ma tête : la bibliothèque d'Alexandrie, le dynamitage des statues d'Afghanistan, les massacres de Gaza hier et d’Alep aujourd’hui, mon propre récit Ieschoua mon Amour, le drame de la Shoah, l' « hypothèse Dieu », les appels au meurtre de saint Cyrille, les femmes flagellées là-bas pour avoir montré une infime parcelle de leur peau, d'autres diabolisées ici pour voiler 99% de leur corps... Toujours et partout l’effroi du corps féminin et la fétichisation de la virginité, trophée réservé au Mâle ! Là-bas leur soumission, ici leur marchandisation. Dans les deux cas, leur humiliation.
Mais pour finir, de ces deux miss, laquelle fut la plus exceptionnelle ? La vierge Miriam qui, au 1er siècle pendant J.-C., fut capable d’enfanter l’Eternel dans une grotte illuminée par un astre miraculeux ou bien la disciple d’Hypatie, notre Jocelyne Bell Burnell qui, en 1967, fut la première à découvrir un pulsar ? L’une s’est démultipliée en avatars de déesses ayant des millions d’adeptes catholiques. (La meute des théolochiens sniffeurs d’âme et pisteurs de Pépin Originel a réussi cet autre prodige : stariser une seule femelle pour diaboliser toutes les autres !) Mais grâce à la descendante d’Hypathie, on a découvert ensuite plus de 1000 pulsars et l’astronomie a fait un bond en avant décisif. Avec un gros bémol à la clé, encore un affront en blouse blanche : si l’étudiante surdouée dut passer outre le scepticisme de son directeur de thèse, c’est bien Antony Hewish et non pas elle qui, en 1974, obtiendra – seul – le prix Nobel de Physique. Machisme pas mort…
Qu’importe, la femme est décidément l’avenir de l’homme ! Et son combat pour l’émancipation et l’égalité, plus actuel que jamais.
Hypatie d'hier, Hypatie d'aujourd'hui et de toujours. Femmes intelligentes et progressistes. Femmes si belles, femmes rebelles… Même dans les bras de Morpheus-Davus, il va m'être bien difficile de trouver le sommeil tant je me sens minus et admiratif !
Michel Bellin, écrivain
www.michel-bellin.fr